Cuisine à L’Est
Presqu’un mois depuis mon dernier article mais le temps passe si vite quand on s’amuse ou du moins quand on est manager de cuisine.
Début Février j’ai eu le moral en berne peut-être que je pressentais la troisième guerre mondiale en tout les cas j’ai eu besoin de reprendre l’air et de revenir fraiche comme un gardon.
Ça tombait bien que je sois fraîche car l’équipe de servant de cuisine était bringuebalante et on m’a fait comprendre que si je voulais bien faire partie de l’équipe en tant que manager de cuisine ça serait VRAIMENT super. Moi grande âme, je réfléchis et je me dis que c’est pas une mauvaise idée, que je vais surement être sur les rotules à la fin mais gérer une équipe en anglais ça peut être funky.
Bin, j’ai pas été déçu…
Déjà, je remets le contexte Carlos est l’enseignant du dernier 10 jours et sera aussi l’enseignant pour le prochain. Il est Brésilien et parle un nombre incalculable de langue : Portugais, allemand, français, italien, espagnol, thaï…
Il vit en Allemagne depuis une vingtaine d’année donc imaginez un mix entre le Brésil et l’Allemagne et vous avez l’énergie de Carlos.
Il propose une matinée création de pizza entre les deux cours et c’est bien appréciable de changer un peu des recettes du centre que je (me coltine) savoure depuis bientôt plus de deux mois.
Et manager de cuisine Késako? ça signifie que je vais accueillir et former l'équipe de cuisine durant les trois premiers jours. Sachant que ce sont des gens de tout age confondues qui n'ont pour certains jamais bossé en équipe ou en cuisine. Puis les accompagner et bosser avec eux durant le reste du cours. On cuisine pour une centaine de personne environ.
Mercredi 9 Février dans l’après-midi, j’accueille donc l’équipe qui rejoint la cuisine au compte-goutte. 14h personne, 15h personne, 16h Marek et Robert se présentent et commencent à aider en cuisine, 16h30 Igor arrive dans la cuisine mais personne d’autre. On est censé être minimum 9 personnes mais tout vas bien. 17h je commence à me demander s’il y a vraiment des gens qui vont arriver un jour ou si je vais devoir me transformer en Kali la déesse indienne doté de multiples bras.
J’avais oublié que Vladimir (le Russe) et Volodimir (l’Ukrainien) qui étaient déjà au centre venait aider cette semaine. Ils nous rejoignent plus tard. Il y a aussi Zeanetta, une polonaise un peu perchée qui aide à l’inscription le temps de l’après-midi.
A part Zeanetta, pas l’ombre d’une femme…
Carlos me prévient qu’une femme arrivera plus tard dans la soirée et qu’une autre qu’ils ont appelé à la rescousse arrivera demain matin pour aider durant les 3 premiers jours. Sur le papier, il y a une autre fille qui est déjà arrivée mais qui ne s’est pas encore présenté en cuisine.
Natacha ou Natalia (elle nous explique que pour elle c’est pareil vu que c'est le même prénom mais dans une langue différente) est biélorusse et n’avait pas compris qu’elle devait servir lors de ce cours. En fait, ça l’arrange bien d’être méditante parce qu’elle n’a pas beaucoup de vacances et que faire du service c’est fatiguant.
Alors, dans les faits je la comprends bien sauf qu’on a vraiment besoin d’elle et que l’enseignant lui explique qu’elle a validé l’inscription en tant que servante donc qu’elle savait qu’elle serait avec nous.
Natacha/Natalia ne parle pas vraiment anglais et comprends le polonais mais ne le parle pas bien alors elle nous fait comprendre que non elle n’est pas d’accord mais que comme elle n’a pas le choix elle va faire ça pour nous… Ambiance.
Agata (mais on l’appelle Aga) arrive un peu plus tard dans la soirée et c’est une boule d’énergie prête à en découdre. Au moins, elle est super motivée pour servir et j’en suis pas mécontente.
Le lendemain arrive Bacia (surnom de Barbara) qui vient nous aider pour 3 jours. Elle parle français car elle a vécu 5 ans en France et on se marre bien.
C’est donc avec une équipe en mode ex-bloc soviétique que je me lance dans l’aventure :
Aga, Zeanetta, Bacia, Marek et Igor pour la Pologne
Vladimir pour la Russie
Natacha/Natalia pour la Biélorussie
Volodimir pour l’Ukraine
Robert pour la Lituanie
Et Julia (le surnom pour Julia c’est Yulka) pour la France
Ça parle russe, polonais et anglais dans la cuisine!
Première journée fatiguante ou tout le monde bosse à fond en essayant de comprendre le fonctionnement et le horaires d'une journée entre temps de travail, pause et méditation.
Le soir à la réunion avec Carlos, Natacha/Natalia fond en larmes en expliquant que si elle n’est pas méditante pour ce cours, elle veut partir.
Carlos trouve un compromis avec elle, elle nous aide pour le petit-déjeuner et le midi et elle a toute l’aprem pour méditer. Elle est ok avec cette proposition et tout le monde est content.
L’équipe est super motivée et Vladimir qui est long terme comme moi depuis quelques semaines m’épaule grandement.
Vladimir, c’est un russe tétu et mathématicien qui vit depuis plus de trente ans en Allemagne avec son épouse. Comme beaucoup de russe émigrant chez les allemands, il a dû modifier son nom de famille pour une meilleure intégration. Il parle un anglais plutôt germanique et m’appelle « man » quand il veut me faire entendre raison. Je l’aime beaucoup et on s’est remercié plus d’une fois d’être sur la même longueur d’onde.
Il y a aussi Marek qui m'épaule bien. C'est le second manager de cuisine et il assure. Je peux rapidement lui laisser les rennes du petit-déjeuner et profiter d'une heure de sommeil en plus! Réveil à 6h! Yahoo c'est la grasse mat! ;)
Dimanche est une grosse journée car c’est le jour de l’apprentissage de la méditation Vipassana pour les étudiants. Pour l’équipe de cuisine aussi qui médite deux heures de plus ce jour-là.
Zeanetta arrive toute déboussolé après la méditation et je sens qu’elle est un peu dans les airs. Elle est évasive, pleure sans pouvoir s’exprimer clairement. Depuis le début du service, j’avance à tâtons avec elle de peur de la brusquer. Elle a très peu confiance en elle et demande toujours des confirmations de son travail en cuisine. C’est assez épuisant mais le temps passant, elle trouve sa place.
Lundi matin, elle n’est clairement pas bien. Elle quitte la cuisine en pleure après une discussion avec Carlos. Je la retrouve à la pause de midi et prend le temps de parler avec elle. Elle me déballe pleins de trucs, certains font sens d’autres non. Elle m’explique qu’elle a vu et ressentie des signes en lien avec son beau-père durant la méditation de la veille. Il était dans un état critique avant le cours.
Vladimir arrive en colère dans la salle pour nous dire que ce n’est plus l’heure des papotages. Il a raison c’est pile le moment où il faut être au taquet, tout nettoyer et tout ranger. Je m’en veux d’être en retard et carbure quand Zeanetta revient en pleure et me demande de la suivre. Je lui explique un peu enervé que le moment est mal choisi car on doit tout ranger maintenant pour pouvoir avoir une pause digne de ce nom. Elle pète un cable, me souhaite une belle vie et me dit aurevoir.
« Quoi mais tu pars ? »
« Oui, si tu avais un peu d’humanité, tu prendrais le temps de m’écouter. Mon beau-père vient de mourir, j’ai eu ma mère au téléphone »
Je me retrouve toute bête, ne sachant que dire pour me rattraper.
Vladimir arrive et l’écoute puis lui dit qu'effectivement c’est une bonne raison pour partir et lui souhaite bon courage.
Il me regarde et me dit que c’est n’est pas mon histoire ce qu’elle vit en ce moment donc que je ne dois pas rentrer dans de l’affectif. On continue l’aventure, quoi qu’il arrive. Anicca comme on dit dans le jargon.
Bacia est parti hier comme prévu, Zeanetta est parti aujourd’hui c’était inattendu. Je commence soudainement à sentir une fatigue se poser tel deux enclumes sur mes épaules et un stress lié à une équipe qui se réduit comme peau de chagrin m'envahir peu à peu .
Le lendemain, on fait des blagues concernant le prochain sur la liste à quitter l'aventure, Je ris jaune, j'avoue. L’équipe est au taquet mais on bosse tous à fond et la fatigue commence à se faire sentir. Notamment chez Aga qui bosse comme une folle avec un niveau d’exigence qui frôle parfois la perfection. D’ailleurs avec la fatigue, elle devient un peu méchante notamment avec Natacha/Natalia qui est beaucoup plus lente qu’elle et qui c'est vrai met beaucoup moins de cœur à l'ouvrage dans son service en cuisine.
Après une discussion avec Giovana la manager des femmes qui est ma grande copine durant ce cours, elle me conseille de lui demander de prendre une pause le lendemain matin. Pour qu’elle prenne du temps pour elle et parce que le service doit rester un plaisir, on n’est pas au boulot.
Elle me dit que c’est à moi de lui parler et d’insister même si elle ne veut pas. Connaissant le personnage, je sais qu’elle va refuser. Je passe toute l’heure de méditation à essayer de trouver en anglais la meilleure tournure de phrase puis de retour dans la cuisine je lui demande si elle a deux minutes à m’accorder.
« Voila Aga, ce serait bien si tu prenais la matinée de demain matin pour toi, pour te faire du bien et te reposer. Tu peux bouquiner, te balader, méditer. C’est un temps pour toi »
« Non, c’est bon, je suis au taquet »
« Oui mais en fait ce n’est pas une option. »
« Ce n’est pas une option ? »
« Non »
« Ce n’est pas une option ? Tu ne changes pas d’avis ? Tu me dis bien que ce n’est pas une option ? »
Puis elle part en trombe.
Je ne sais pas quoi faire, je ne m’attendais pas à une si mauvaise réaction de sa part. Moi je la prendrais volontiers sa matinée de pause.
Elle revient en pleure.
« Je n'accepte pas la façon dont tu m’as parlé. Je veux voir l’enseignant et je partirais demain matin. »
AHAHAH
Je suis émotionnellement au bout du rouleau. C’est la pleine lune et moi je ne sais plus ou me mettre. j'hésite entre creuser un trou et m'enterrer vivante ou écrire un texto à Poutin pour lui dire d’arrêter ses conneries mais en fait, je suis trop fatiguée pour faire quoi que ce soit.
Je vais retrouver Giovana pour lui expliquer la situation et elle va voir Aga dans sa chambre pour lui parler.
On se retrouve tous à la réunion de fin de journée, je suis très fragile et je me mets à pleurer devant Carlos à qui je raconte l’histoire du jour. Il me file un mouchoir, me dit que c’est ok et me conseille d’aller prendre l’air dans la forêt avant d’aller dormir.
En sortant de la salle Aga m’attends et s’excuse de m’avoir mal parlé. Elle apprécie mon taff, c’est juste que les mots l’ont blessé.
Fatiguée je reconnais quand même la chance de vivre ce genre d’expérience dans un centre de méditation ou les choses se délient plus facilement puis je vais marcher entre les arbres et leurs ombres éclairés par pełnia księżyca (qui se prononce "péounia kchézétchia").
Le lendemain matin Aga médite et je m’attends à la voir lors du repas de midi mais elle n’est pas là. Elle ne vient pas non plus l’aprem. Giovana me dit l’avoir vu en méditation. Elle réapparait super énervé dans la cuisine en fin d’aprem et ne parle qu’aux polonais. Igor me traduit que comme personne ne lui a fait signe, elle ne sait pas si elle a le droit d’être en cuisine et attends qu’on lui demande gentiment de revenir…
Je lui écris donc un petit mot que je scotche sur sa porte en m’excusant du quiproquo.
Le lendemain quand j’arrive elle a rejoints l’équipe mais a très mal parlé à Natacha/Natalia qui pleure dans la cuisine.
On convient donc en équipe, que désormais elles ne communiqueront toutes les deux que par mon biais. Autant dire que c’est l’éclate dans la salle à manger des femmes vu qu’on est que trois. J'hésite à faire la blague de toto au toilette pour détendre l’atmosphère mais la petite voie dans ma tête qui ressemble étrangement à France Gall me conseille de résister.
Jour 10, c’est le jour où les étudiants reprennent la parole après 9 jours de silence. L’ambiance en cuisine est super détendu et je me rends compte que les jours se suivent mais ne se ressemble jamais en service. Tout le monde est heureux de cette aventure et ça déconne sec.
Tomasz qui est le nouveau manager du centre vient me demander si je suis végan, je lui réponds que non il me file donc les clés du portail en me promettant une surprise à l’extérieur. Je sors et trouve une boite pleine de gateaux au chocolat. Je savoure mon gâteau face à la forêt. N’ayant pas le droit au œufs dans le centre, les idées gourmandes sont au rendez-vous ! ;)
Durant ces dix jours j’aurais appris à faire un Bortsch Ukrainien, Volodimir est un fin cuisinier malgré le débat infini sur les multiples façons de faire cette soupe. Elle a autant de recettes que de région en Europe de l'Est et chaqu'un a SA recette du Bortsch.
Je suis pleine de gratitude pour ces 10 jours passionnants et haut en couleurs. Par la rencontre des diverses cultures et identités dont était composé l’équipe. Se rendre compte que les choix politiques absurdes comme cette triste déclaration de guerre n’a rien à voir avec les liens qu'on peut vivre entre humains. Vladimir et Volodimir en sont l'exemple vivant, parlant la même langue et venant du même coin, ils n'arrêtaient pas de se marrer ensemble. Je sentais un grand respect mutuel l'un envers l'autre.
Mes pensées vont vers Volodimir qui a rejoints ses proches en Ukraine dimanche dernier et vers tous les ukrainiens et les autres peuples qui vivent le cauchemars de la guerre.
"Quelle connerie la guerre!" Prévert
Moi je prends quelques jours loin du centre pour souffler.
Je vous embrasse bien fort
Prenez soin de vous les roudoudous.
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